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mercredi 7 janvier 2015

#jesuischarlie Je me suis pris un bus


Je me suis pris un bus

« Tu as vu ce qu’il s’est passé en France ? »
 
« Il y a eu une fusillade à la rédaction de Charlie Hebdo, il y a 12 morts dont Cabu »

Je me suis pris un bus. C’est ce que je ressens.

De quoi parle-t-on ? C’est une blague ? Qui ,quoi, comment ?

J’apprends ainsi que pendant mon sommeil à 20 000km de là, des individus se sont introduits au sein des bureaux de Charlie Hebdo et ont tiré, comme ça, laissant derrière eux  des morts, des blessés, une tragédie et un pays sous le choc.

Certes de ma petite ile au milieu du pacifique tout ça semble loin…et pourtant…

Je me suis pris un bus.

Je n’ai jamais été fan de Charlie Hebdo, rien contre, rien pour…. Parfois choquante, parfois juste, la liberté d’expression doit être respectée,  c’est de là que toute liberté puise ses fondamentaux. 

Et Cabu….toute ma génération a grandi avec Cabu et ses dessins..75 ans, continuer à caricaturer avec finesse les traits de notre société…75 ans…et mourir dans un bain de sang causé par deux fanatiques revendiquant des actes au nom d’une religion qui ne voudrait pas de ça.

Ma première réaction est pour les musulmans. Ils vont être les victimes collatérales de cet acte insensé.
Je n’ai pas de dieu, je ne crois pas en dieu, je préfère croire en l’homme même si c’est de plus en plus difficile.

J’ai partagé ma vie pendant quelques années avec un musulman. J’ai appris à connaître et respecter cette religion, j’ai appris l’arabe et je me suis intéressée  à une culture et une religion qui fait si peur aujourd’hui. Alors oui, ma première crainte a été pour ces millions de musulmans qui font les frais au quotidien de ces barbaries ignobles perpétuées par des sans-cerveaux en manque de guide de vie. 
L’amalgame serait si facile.

Je me suis pris un bus.

Je me lève, j’allume la télé et la chaine infos…et je découvre…les images, les interviews, l’horreur. Les larmes m’en coulent sur les joues. Je ne sais pas pourquoi. Où sommes-nous ? Que se passe-t-il ? La France, berceau des droits de l’homme, une rédaction de journal…je pense à ces gens évidemment, morts au nom de leurs idées  et n’ayant jamais blessé physiquement personne, et je pense à ma famille et mes amis, qui vivent en France, loin..j’ai peur…parce que je ne comprends pas cette violence que j’ai du mal à accepter. 

C’est donc véritablement arrivé. 

Je vis à Tahiti, à 20 000km de Paris. Sous mes cocotiers et ma plage dorée, la vie est d’un coup moins douce.

Je me suis pris un bus.

Alors quoi ? Depuis des mois et des mois on sent la violence monter en France, ce racisme prendre racine, cette haine latente…et puis le 7 janvier 2015.

J’ai peur des amalgames, j’ai peur que tout ça éclate. Et pourtant la peur, c’est ce qu’ils veulent…qu’on ait peur…qu’on se divise, qu’on se sépare… Alors j’essaie de lutter mais comment ne pas craindre en étant si loin, pour ses proches, pour ce pays que l’on a quitté mais qui reste toujours son pays.

On quitte son pays pour plusieurs raisons, mais au fond de nous on garde les valeurs qui nous ont construits.
Liberté, égalité, fraternité.
Trois mots qu’on nous a appris, expliqués, répétés. Trois mots qui nous ont faits et auxquels on croit…et qu’on espère un jour pouvoir toujours répéter à nos enfants et aux enfants de nos enfants et en garder toute leur signification. Le terrorisme a touché la France au plus profond de ses valeurs aujourd’hui. 

Je me suis pris un  bus.

Je travaille dans une radio. Non je ne suis pas journaliste mais mon boulot m’amène à bosser dans le bureau de la rédaction de temps en temps. Je réalise. Même si à mon échelle nous sommes très loin de ce qu’il s’est passé, je frissonne à la comparaison. J’imagine la terreur de ces gens voyant surgir deux hommes en noir et tirer…tirer..et partir laissant derrière eux l’impensable.

Je suis Charlie.

Dans quel monde peut-on accepter ça ?

Je suis de nature râleuse oui, en fait je suis une révoltée. Révoltée contre l’injustice que j’ai beaucoup, beaucoup de mal à supporter.

Alors mes larmes doivent venir de là, comment peut-on en 2015 en arriver là ? Comment 12 personnes bossant dans un bureau parisien peuvent  elles être tuées pour un coup de crayon ? 
 
Je me suis pris un bus.

Ce qui me rassure c’est l’élan de solidarité qui a immédiatement suivi. « Vous croyez avoir mis la France à genoux, vous l’avez  mise debout. »  Je  lis, je vois les dessins en réaction qui foisonnent sur la toile. Ça me rassure. Je crois en l’homme, j’espère. 

Que va-t-il se passer maintenant ? Je n’en sais rien. Je ne suis pas analyste politique, voyante, professeur ou énarque.

Non.

Je suis Charlie.

Je crois en l’homme et  le sang ne gommera rien, ni le passé, ni le futur.